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15 % des personnes secourues par SOS MEDITERRANEE depuis 2016 sont des femmes. Alors qu’on s’apprête à souligner la Journée internationale des droits des femmes partout dans le monde, rappelons que le plus élémentaire est encore le droit de vivre.

Les 19 et 20 février 2022, 247 personnes secourues par l’Ocean Viking, dont cette jeune femme et son bébé de cinq mois, débarquaient enfin en lieu sûr dans le port de Pozzallo, après une semaine d’attente en mer par mauvais temps.  Pour les jeunes enfants, les femmes qui allaitent et certaines personnes plus vulnérables, ces attentes sont particulièrement difficiles en raison de la déshydratation qui peut survenir à cause des nausées liées au mal de mer.  Voir le récapitulatif de cette mission.  Photo : Giannis Skenderoglou / SOS MEDITERRANEE

 

AVERTISSEMENT : contenu très sensible. Cet article contient la description de violences sexuelles et physiques susceptibles de heurter la sensibilité de certaines personnes.

 

« Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. (…) Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude. Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Les premiers articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme semblent énumérer les multiples violations dont sont victimes les femmes qui ont témoigné de leur parcours migratoire lors de leur séjour à bord de l’Aquarius puis de l’Ocean Viking. Pourtant, malgré les violences subies, malgré la traversée de tous les dangers en mer, celles qui survivent font preuve d’une volonté qui force l’admiration.

 

« La moitié des migrants sont des migrantes »

« Il faut restituer la part des femmes dans les migrations parce qu’on l’oublie parfois, mais (…) dans le monde : la moitié des migrants sont des migrantes. Y compris sur ces routes particulièrement périlleuses que sont les routes maritimes, elles représentent entre un cinquième et un sixième des arrivées… » explique Camille Schmoll, directrice d’études de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

« La mortalité des femmes en migration est bien plus élevée que celle des hommes. On manque d’information pour chiffrer cette situation mais on sait que du fait de la vulnérabilité liée au genre – lorsqu’on arrive à retrouver les corps et à connaître le sexe des victimes – on constate que les femmes ont beaucoup plus de chances de périr en mer ou dans le désert que les hommes. » Nul ne sait pourtant combien de femmes comptent parmi les 23 000 morts en Méditerranée attestées par l’Organisation internationale pour les migrations depuis 2014 [1] – sans compter toutes les personnes disparues sans témoins.

Photo : Fabian Mondl / SOS MEDITERRANEE

 

Invisibilisées durant leur parcours migratoire, elles le sont davantage encore en mer. Pendant la traversée sur les embarcations pneumatiques, les femmes et les enfants sont souvent placé.e.s au milieu du bateau car les hommes pensent ainsi les protéger de l’exposition directe aux vagues et à la houle. Mais cet emplacement les expose davantage à l’écrasement, à la suffocation ou à des brûlures sévères causées par le mélange d’eau de mer et de carburant, extrêmement corrosif pour la peau.

Le plancher étant fait de planches de bois, positionnées à cet endroit à l’aide de clous dépassant souvent des planches, s’y asseoir provoque souvent des blessures. Dans les cas où l’embarcation prend l’eau, les mouvements de panique peuvent vite se déclencher, les naufragé.e.s ne sachant, la plupart du temps, pas nager. Les personnes assises au fond de l’embarcation sont souvent les premières victimes de noyades à bord même du canot, des suites de bousculades, de piétinements et d’asphyxie. 

Nos équipes ont, par le passé, aussi eu la terrible tâche de ramener à terre les corps sans vie de femmes retrouvées au fond de ces rafiots.

 

« Le bateau était poussé par le vent. Les gens s’accrochaient les uns aux autres. Tout le monde criait. Le bateau était de plus en plus loin. Je ne sais pas comment j’ai réussi à le rattraper. Je ne sais pas nager. (…) Alors le grand navire est arrivé et ils ont lancé des gilets de sauvetage. » A 19 ans, Zeineb*, originaire du Mali, est la seule femme à avoir survécu au naufrage de son embarcation en 2016

 

Photo : Laurin Schmid / SOS MEDITERRANEE 

 

Risques et violences spécifiques durant le parcours

Si les femmes peuvent choisir de quitter leur pays d’origine pour les mêmes raisons que les hommes (guerre, conflits, persécutions, pauvreté, famine, recherche de meilleures conditions de vie…), elles sont cependant plus nombreuses à fuir des formes de violences domestiques et sexuelles, notamment les mariages forcés. Parfois aussi, il s’agit de protéger leurs enfants – y compris de l’excision pour les petites filles -, de leur offrir de meilleures perspectives d’avenir.

 

 « J’ai fui la Côte-d’Ivoire pour que ma petite fille d’un an et demi ne soit pas excisée. Je ne voulais pas qu’elle subisse ce que j’ai subi parce que ça fait partie de la coutume » raconte Maïmouna*, 17 ans. 

 

En plus des dangers de la traversée du désert – où elles sont parfois abandonnées sans eau ou tuées – les femmes sont victimes de vols, de violences physiques, de mise en esclavage, de torture et d’extorsions de toutes sortes. Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement exposées aux violences sexuelles et aux réseaux de traite humaine liés à la prostitution. Certaines en sont victimes dans le cadre de l’esclavage domestique dans les pays de transit et en Libye.

 

Photo : Kenny Karpov / SOS MEDITERRANEE

 

Si peu d’entre elles décrivent dans les détails les horreurs qu’elles y ont vécu – par honte ou par pudeur, ou parce qu’il leur est trop difficile d’en parler -, certains hommes rapportent quant à eux avoir été témoins de violences à l’égard des femmes et des jeunes filles en Libye. Nombre d’entre elles portent d’ailleurs les stigmates physiques et psychologiques de ces agressions répétées, ou tombent enceintes à la suite de viols.

 

« Il m’a emmenée avec lui au dernier étage, il s’est déshabillé et comme j’ai refusé de coucher avec lui, il m’a poussée par terre et il m’a battue avec sa ceinture puis il m’a rouée de coups de pied partout… Il a sorti un couteau et il m’a tailladée… Après, il m’a violée… Il est venu avec d’autres hommes… Je crois que je me suis évanouie » se rappelle Abi*, une jeune nigériane de 18 ans.

 

Beaucoup relatent des viols répétés par les gardiens des centres de détention libyens, en plus du manque d’eau potable, de nourriture et de la plus élémentaire hygiène, sans parler de l’absence d’accès à des soins de santé. Certaines femmes ont accouché dans ces centres insalubres, sans assistance, parfois à la suite de viols. Certaines naissances ont même lieu en mer. En 2017, une jeune femme camerounaise a quant à elle accouché, entourée d’inconnus, dans une barque en bois surpeuplée. Au moment de monter sur l’Aquarius, le nouveau-né était toujours relié à sa mère par le cordon ombilical. Cinq autres naissances ont eu lieu sur le navire de SOS MEDITERRANEE, avec l’assistance des équipes médicales à bord.

 

Photo : Kevin Mc Elvaney / SOS MEDITERRANEE

 

Un abri pour les femmes en pleine mer

De février 2016 à février 2022, SOS MEDITERRANEE a secouru 34 878 personnes en Méditerranée centrale, dont 15% étaient des femmes (en moyenne).

L’Ocean Viking dispose d’un espace réservé exclusivement à l’accueil des femmes et des enfants de douze ans et moins : le « women’s shelter » (refuge des femmes). Dès leur arrivée, elles y sont amenées. Elles peuvent s’y changer, s’alimenter, se reposer et consulter l’équipe médicale. Aucun homme n’est autorisé à entrer dans cette zone sans autorisation, à aucun moment de la traversée, équipage inclus.

Dans cet espace de sécurité, la parole des femmes se libère parfois, bien que la plupart d’entre elles ne parlent pas de leurs expériences douloureuses.

Particulièrement attachée aux soins des femmes et des jeunes enfants, la sage-femme reçoit souvent leurs confidences. Elle leur propose un examen, et à celles qui le souhaitent, un test de grossesse.

FICR : notre partenaire en mer

Depuis septembre 2021, la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR) apporte un soutien post-sauvetage à bord de l’Ocean Viking, aux côtés des équipes de SOS MEDITERRANEE : soins médicaux, soutien psychologique, protection mais aussi réponse aux besoins de première nécessité des personnes rescapées. L’équipe comprend un.e médecin, un.e infirmièr.e, un.e sage-femme et des professionnel.le.s capables d’apporter un soutien psychologique et d’aider les personnes particulièrement vulnérables et nécessitant une protection supplémentaire, comme les femmes enceintes, les mineur.e.s non accompagné.e.s et les victimes de la traite des êtres humains.

 

Photo : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE

Redonner le pouvoir de la parole aux femmes rescapées

Outre sa mission vitale de sauvetage et celle de protection et de soins des rescapé.e.s à bord, SOS MEDITERRANEE s’emploie aussi à faire connaître le drame humanitaire en Méditerranée et à donner la parole à celles et ceux qui y ont survécu. C’est sa mission de témoignage.

Cette mission est d’autant plus importante pour redonner aux femmes, absentes des discours sur la migration, une voix au chapitre et le pouvoir de se raconter. Ces femmes à la résilience et à la force morale hors du commun, sont autant d’héroïnes auxquelles nous avons voulu donner la parole, peut-être pour leur rendre une part de l’humanité et de la singularité dont on les avait privées.

Cette parole si rare de femmes en migration a été recueillie à bord de l’Aquarius entre 2016 et 2018 puis de l’Ocean Viking à partir de 2019. Durant cette parenthèse en mer, elles livrent leur histoire, parfois avec beaucoup d’émotion, et confient à d’autres femmes – celles qui composent nos équipes à bord – leurs plus grands secrets, leurs peurs, mais aussi leur espoir d’une vie meilleure.

Le recueil de témoignages à bord de nos navires se fait le plus souvent par les chargées de communication, mais aussi par d’autres membres de l’équipe de sauvetage, de soins ou parfois par des journalistes. Les femmes rescapées se confient beaucoup plus aisément aux membres féminins de l’équipe, qui ont accès au « women’s shelter » (refuge des femmes) qui leur est réservé, à elles et aux jeunes enfants. C’est grâce à elles que régulièrement, vous pouvez lire leurs témoignages dans notre journal de bord.

 

 « J’ai décidé de réessayer. Je ne pouvais pas supporter de voir mon fils vivre une vie sans espoir. J’ai rassemblé tout le courage que je pouvais, et nous sommes reparti.e.s. Il faisait nuit, les vagues étaient hautes, j’avais le mal de mer. Mais cette fois, vous êtes apparu.e.s, et dès la première seconde, j’ai su que vous n’étiez pas les Libyens. Vous nous avez parlé avec respect et calme. » raconte Maha*, une Syrienne de 48 ans. 

À la veille du 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes, SOS MEDITERRANEE souhaite rendre hommage à ces femmes rescapées, dont la vaillance et la puissance nous apportent une leçon de courage et d’humanité.

 

* Les noms ont été changés pour protéger l’anonymat des femmes qui témoignent. Les photos sont des images d’illustration et ne correspondent pas aux rescapées citées.
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1)  Site « Missing Migrants » de l’OIM https://missingmigrants.iom.int/

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