Quel rôle les conditions hivernales ont-elles sur nos opérations en Méditerranée centrale ?

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Une fois l’été passé, les conditions météorologiques hivernales s’installent en Méditerranée centrale. Elles ont un impact direct sur nos opérations de recherche et sauvetage et sur les embarcations en détresse. La houle est plus forte, les vagues sont plus hautes, le vent est plus fort, les températures chutent, les nuits sont plus longues, les tempêtes sont plus fréquentes et plus imprévisibles. Pour autant, des personnes continuent de fuir la Libye sur des embarcations impropres à la navigation, sujettes à se rompre ou chavirer à tout instant. Les personnes en détresse sont plus régulièrement soumises à des risques d’hypothermie et au mal de mer.

Les pratiques de recherche et sauvetage, et de prise en charge des personnes rescapées à bord de l’Ocean Viking, s’adaptent à ces conditions complexes. En novembre 2021, 314 personnes ont été secourues au cours de 4 sauvetages dans des conditions météorologiques difficiles illustrant les particularités de l’hiver en Méditerranée centrale.

 

L’opération de recherche et sauvetage

La mer est un environnement dangereux et tout navire est affecté par les conditions météorologiques qui l’entoure. Fin octobre 2021, un ouragan méditerranéen, appelé “medicane”, a frappé la Sicile alors que l’Ocean Viking se préparait à partir en Méditerranée centrale. Les medicanes engendrent de fortes pluies et des rafales de vent pouvant dépasser les 100 km/h, causant des vagues hautes de 7 mètres en dehors du port d’Augusta où l’Ocean Viking et des dizaines d’autres navires avaient trouvé refuge entre le 26 et le 30 octobre, retardant le début de ses opérations.

La recherche

En hiver, les jours raccourcissent. Cela signifie que la recherche d’embarcations en détresse devient beaucoup plus difficile. En mer, il fait nuit noire. Il n’y a que les projecteurs du navire, les projecteurs des canots de sauvetage et les lampes du casque des marin-sauveteurs pour s’éclairer. La plupart des embarcations en détresse n’ont pas de lumières, seuls les frêles faisceaux lumineux des téléphones portables des personnes en détresse peuvent donner des signes de vie à l’équipe de recherche et sauvetage. Les apercevoir à travers les jumelles est une tâche des plus difficiles, la mer et le ciel ne font qu’un, noirs. Il est très courant de perdre de vue plusieurs fois les points lumineux se mouvant avec les vagues avant de les retrouver, et de risquer de perdre définitivement la trace de l’embarcation.

« La visibilité est bien moins bonne en hiver, il y a plus de nuages, plus de vagues, il est plus difficile de faire la première évaluation depuis la passerelle, on doit être beaucoup plus rapide pour mettre nos canots de sauvetage à l’eau et on doit être encore plus attentifs aux éléments qui nous ont un impact sur nous et sur les sauvetages » explique Ana, coordinatrice adjointe des opérations de recherche et sauvetage pour SOS MEDITERRANEE.

Deux des quatre sauvetages effectués en novembre 2021 ont eu lieu en pleine nuit, sans lune ni étoiles. La première embarcation secourue n’a été repérée qu’au dernier moment au milieu de la nuit, à 200 mètres de l’Ocean Viking. L’issue aurait pu être catastrophique, avec un risque élevé de noyades si des personnes s’étaient jetées à l’eau pour tenter de rejoindre notre navire à la nage. Grâce à des entraînements rigoureux, nos équipes se sont préparées en huit minutes pour mettre les canots de sauvetage à l’eau, stabiliser l’embarcation, et secourir les personnes en détresse. 45 personnes secourues en 50 minutes.

Le sauvetage

Les embarcations sur lesquelles les personnes prennent la mer n’ont pas de quille fixe. Ce sont souvent de simples canots pneumatiques ou des embarcations en bois, frêles, et de diverses tailles. Sur une mer d’huile, ces embarcations risquent de se briser ou de chavirer à cause de leur piètre qualité. Sur une mer agitée, ces risques sont exacerbés. En novembre, deux sauvetages ont été effectué en plein jour mais furent complexes. Tout d’abord, un canot pneumatique surchargé, avec 94 personnes à son bord, des personnes à califourchon sur les boudins dégonflés, la structure du canot tordue, prête à se briser. La houle était heureusement modérée mais s’est intensifiée quelques heures après, ce qui aurait été fatal si notre équipe n’était pas intervenue à temps Puis, une embarcation en bois de taille moyenne, avec 105 personnes entassées sur le pont et dans la cale. L’embarcation était très instable avec une gîte importante. Sur ces deux sauvetages, les personnes en détresse, dont de nombreux bébés déshydratés, ont dû être d’abord transférées sur un radeau de sauvetage pneumatique avant d’être transférées sur l’Ocean Viking afin d’éviter que l’embarcation en détresse ne se brise ou chavire.

Notre dernier sauvetage a été effectué en pleine nuit : 69 personnes sur une embarcation en bois de taille moyenne, avec des personnes dans la cale de l’embarcation et deux mètres de houle. L’embarcation ne cessait de tanguer de bâbord à tribord au gré de deux mètres de vagues. Distribuer des gilets de sauvetage et transférer des personnes sur nos canots de sauvetage dans ces conditions est d’une réelle difficulté. Une personne peut tomber à l’eau à tout instant. Ce que nous appelons la pratique du « sandwich » a été utilisée, avec nos deux canots de sauvetages se disposant d’un côté et de l’autre de l’embarcation, afin d’y transférer les personnes rapidement et d’éviter que l’embarcation ne bascule complètement.

Les conditions médicales

Au cœur de l’hiver, l’eau de mer ne dépasse pas les 13 degrés, une personne qui tomberait à l’eau en pleine mer verrait ses chances de survie diminuer en seulement quelques minutes. A bord des embarcations de fortune, le vent, la déshydratation, le manque de nourriture et l’épuisement général des personnes en détresse accroissent le risque d’hypothermie.

L’hypothermie correspond à une situation où la température corporelle d’un individu est inférieure à 35° C. Lorsqu’une hypothermie amène la température corporelle de l’individu à un niveau trop bas, sans prise en charge rapide, elle peut s’avérer fatale. En mer, les personnes rescapées les plus vulnérables à l’hypothermie sont les nourrissons et les jeunes enfants, en raison de leur moindre capacité d’auto-régulation thermique, et les personnes présentant une pathologie chronique sous-jacente.

« Notre équipe médicale et tous les membres à bord de l’Ocean Viking peuvent être amenés à effectuer des réanimations cardio-pulmonaires dues à la noyade ou à des cas d’extrême hypothermie, pouvant causer un arrêt cardiaque. La température des personnes peut chuter jusqu’à 32°C, », précise Jane, docteure de la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR), partenaire de SOS MEDITERRANEE à bord de l’Ocean Viking.

Le mal de mer constitue une difficulté supplémentaire en hiver – même pour l’équipage. Cela peut être épuisant. Il peut devenir un facteur de danger accru pour les personnes en détresse en raison de leur grand état de faiblesse et peut aggraver les cas de déshydratation.

La prise en charge à bord

« Lorsque les personnes arrivent à bord de l’Ocean Viking, elles sont souvent exténuées, épuisées, sous le choc, traumatisées de ce qu’elles ont vu en Libye et de la traversée. Elles ne connaissent pas forcément la mer, la découvrir pour la première fois dans des conditions hivernales est difficile. Leurs besoins immédiats sont d’être amenés dans un endroit chaud, d’enlever leurs habits mouillés, leur servir quelque chose de chaud à boire et manger dès que possible, leur fournir des habits secs, des couvertures, des couvertures de survie pour les protéger du vent, de la pluie et du froid, » explique Riad, responsable de l’équipe d’assistance et de protection pour SOS MEDITERRANEE.

Sur l’Ocean Viking, deux gros conteneurs fermés par des portes hermétiques permettent de mettre un certain nombre de personnes à l’abri de la pluie et du vent. Cependant, avec 314 personnes à bord, comme en novembre, la prise en charge pendant des jours d’attente avant de se voir attribuer un lieu sûr de débarquement est un réel défi.

Au cours du mois de novembre, nous avons traversé plusieurs tempêtes, dont une causant des vagues de 4 mètres en pleine nuit.  L’Ocean Viking est imposant et stable, mais les vagues ont déferlé sur le pont cinq heures durant, trempant les personnes rescapées sur le pont, balayant leurs affaires et aggravant le mal de mer de certaines personnes. De nouvelles couvertures, bonnets, couvertures de survie et habits secs ont pu être distribués malgré l’instabilité à laquelle devaient faire face les membres de notre équipe à chaque déplacement sur le pont. Dans ces conditions, il est impossible de servir du thé ou de cuisiner du riz, seulement des kits d’urgence de nourriture peuvent être fournis. Le lendemain, des pluies torrentielles ont inondé le pont, aggravant l’état psychologique et médical des personnes rescapées avant d’enfin pouvoir débarquer à Augusta, en Sicile.

 

Crédits photographiques : Claire Juchat / SOS MEDITERRANEE

Autrice : Claire Juchat

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