Dominika est responsable de l'équipe post-secours de SOS MEDITERRANEE et est montée pour la première fois à bord de l'Aquarius en 2018 en tant qu'infirmière. Aujourd'hui, elle explique les mesures de prévention et de traitement du stress psychologique pour les membres d'équipage à bord de l'Ocean Viking. Ces mesures visent à aider l'équipe à gérer les effets du stress et des traumatismes qui peuvent survenir lors de leurs missions en mer.  

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‍Dominikasupervise toutes les activités post-sauvetage en collaboration avec les équipes post-sauvetage de SOS MEDITERRANEE et de la Fédération des Sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (FICR). Ces activités comprennent notamment le recrutement et la formation du personnel, l'équipement de la clinique et l'élaboration de protocoles pour le traitement des survivants. Elle a également mis en place le système de soutien psychologique des équipes en mer.

‍1-Quels sont les principaux risques psychologiques auxquels sont exposés les équipages des navires de secours civils en mer ?

‍Leséquipages ne sont pas seulement exposés à des événements traumatiques directs tels que les naufrages, les noyades, les pertes de vies humaines, les blessures graves ou les menaces pour leur sécurité (par exemple, les tirs des garde-côtes libyens). Ils peuvent également subir des traumatismes secondaires en entendant les histoires des personnes secourues, qui peuvent souffrir de problèmes psychologiques à la suite de viols, de violences physiques, de tortures, d'extorsions ou d'autres événements. En outre, le travail à bord peut être très éprouvant et stressant. L'environnement très confiné offre peu d'intimité et ou de possibilités de réduire le stress. L'équipage est également confronté à des facteurs imprévisibles tels que les conditions météorologiques ou un contexte politique difficile. Il existe un risque que le navire soit immobilisé et que notre travail soit criminalisé d'une autre manière. Avec le temps, beaucoup de frustration et de colère peuvent s'accumuler.

Les réactions automatiques et incontrôlables à une situation stressante varient d'une personne à l'autre et peuvent survenir au moment de l'événement ou après. Ces réactions peuvent par exemple inclure l'anxiété, la peur, le choc, la colère ou la culpabilité. Des réactions physiques telles qu'une vigilance accrue, de la fatigue, des vertiges, des maux de tête, des douleurs articulaires ou des insomnies peuvent également se produire. Ces réactions sont normales, surtout dans les premières 72 heures, et peuvent se développer très rapidement. Nous devrions nous inquiéter si ces sentiments persistent pendant des semaines, voire des mois, et s'ils s'accompagnent d'autres angoisses, d'un repli sur soi, d'insomnies, de comportements addictifs, etc. Il peut s'agir, par exemple, de symptômes de stress post-traumatique, de burnout ou de dépression, pour lesquels un soutien psychologique spécialisé est nécessaire. Cependant, beaucoup d'entre nous trouvent un sens et une valeur dans notre travail, qui peut être très gratifiant et épanouissant. Nous travaillons dans un environnement où les gens sont très motivés et où le niveau de soins mutuels est élevé. J'adore la phrase sur la machine à café du bureau de Marseille : "Prendre soin de soi n'est pas de la gentillesse. C'est de l'auto-préservation, c'est un acte politique". Les personnes qui travaillent dans le domaine de l'aide humanitaire veulent donner beaucoup. Mais pour cela, nous devons aussi prendre soin de nous-mêmes afin de pouvoir nous occuper des autres : Il faut mettre son propre masque à oxygène avant de pouvoir le mettre à quelqu'un d'autre.  

‍2-Quel a été le moment le plus traumatisant que tu as vécu ?

‍Pourma première mission en mer, j'étais infirmière pour Médecins sans frontières (MSF) [alors partenaire médical de SOS MEDITERRANEE à bord de l'Aquarius]. Le 27 janvier 2018, j'ai été confrontée à une opération de sauvetage tragique. C'était très difficile. Je n'oublierai jamais cette journée. Lorsque nous sommes arrivés sur place, le canot pneumatique était plein d'eau. Le chaos s'est rapidement installé et des dizaines de personnes sont tombées à l'eau. J'ai été la première secouriste à arriver sur place à bord de notre bateau de sauvetage rapide (RHIB). Avec l'équipe de recherche et de sauvetage, j'ai dû pratiquer des insufflations et des manœuvres de réanimation. Je suis ensuite montée à bord de l'Aquarius pour m'occuper des blessés. Nous avons réussi à réanimer six enfants qui ne respiraient plus. Deux femmes n'ont pas survécu. Nous n'avons pas eu le temps de nous arrêter, nous étions sur tous les fronts en même temps. C'était un événement très traumatisant pour les survivants et pour l'équipe. Nous avons estimé qu'une trentaine de personnes avaient perdu la vie dans le naufrage. Ce n'est que lorsque les survivants ont débarqué en Sicile que nous avons pu reprendre notre souffle. Et c'est le temps que nous avons passé ensemble en tant qu'équipe qui nous a le plus aidés. Cette journée a également rendu notre mission de sauvetage et de témoignage encore plus significative. Même si cela a été difficile, nous avons au moins fait quelque chose. Notre objectif était plus clair que jamais en ce moment tragique.

La neuvième mission de l'Ocean Viking en juillet 2020 a également été très éprouvante. [Après de fortes tensions à bord et des tentatives de suicide de survivants désespérés après avoir été bloqués en mer pendant plusieurs jours, nous avons dû déclarer l'état d'urgence]. J'étais la chef d'équipe médicale à bord et, en tant que telle, responsable de la santé mentale de l'équipe. J'ai vu mes collègues développer de violents maux de tête, de dos et d'autres problèmes psychosomatiques.

‍3-Que fait-on pour réduire les risques psychologiques des équipes de l'Ocean Viking ?

‍SOSMEDITERRANEE a progressivement mis en place un système de préparation et de formation des équipes avant et pendant les missions. De plus, le programme KonTerra offre un soutien par des professionnels spécialisés dans l'accompagnement psychologique du personnel humanitaire. Ainsi, chaque personne, indépendamment de son pays d'origine, de son sexe ou de sa langue, peut être prise en charge selon ses souhaits. Le programme se compose de trois éléments principaux : la formation, l'accès à un soutien psychologique (disponible à tout moment) et la gestion des incidents critiques.

Je pense que la formation et la préparation sont essentielles. Lorsque nous formons les nouveaux membres de l'équipe à bord, nous leur expliquons ce qui peut arriver et quelles sont les réactions physiques possibles au stress ou au traumatisme. Nous leur donnons des outils pour respirer, se calmer et gérer leur stress. Il est important de réfléchir à ses propres mécanismes d'adaptation et de développer un plan pour prendre soin de soi et des autres. Dans les formations, nous parlons également des premiers secours psychologiques et soulignons que cela peut également s'appliquer aux collègues*. Il appartient à chacun d'entre nous d'être attentif aux signes de problèmes psychologiques dans notre langage corporel et de prêter une oreille attentive à toute personne qui ressent le besoin de se confier à nous. Mais l'élément le plus efficace est le soutien que l'on reçoit au sein de l'équipe : la certitude de ne pas être seul, car il est impossible de comprendre pleinement une expérience éprouvante si on ne l'a pas vécue soi-même. Après des événements tragiques, les équipes confirment souvent que le fait d'être avec d'autres personnes qui peuvent comprendre ce qu'elles ont vécu les aide. En ce qui concerne le soutien psychologique, l'équipe médicale est également disponible pour évaluer et traiter les éventuels symptômes (maux de tête, fatigue, insomnie, etc.), fournir des connaissances psychologiques et rappeler à l'équipage qu'un soutien extérieur est disponible. Les psychologues* du programme KonTerra proposent des consultations confidentielles et gratuites sur toutes les questions liées au maintien de la résilience personnelle et du bien-être. Ces consultations peuvent être sollicitées à tout moment, en particulier après le débarquement, surtout si un événement critique a eu lieu.    

‍Bonà savoir : TU VAS BIEN ?
L'approche de Dominika s'appuie également sur le protocole établi par l'IMRF (International Maritime Rescue Federation) pour le soutien psychologique des personnes impliquées dans le sauvetage en mer, auquel elle a elle-même contribué en tant qu'experte dans des groupes de travail et des conférences internationales.

Crédits Photo de couverture : Flavio Gasperini / SOS MEDITERRANEE

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